Une journée bien remplie
par
En Champagne le 18 janvier Pégoud force un biplan à rentrer dan ses lignes.
21 janvier 1915.
Mutation à l’escadrille MF 25 équipée d’avions Maurice Farman. Le chef d’escadrille est le capitaine Charles Rossner.
L’escadrille quitte Verdun pour Saint Menehould. Toujours doté de son avion spécial, Pégoud salue Verdun de quelques acrobaties dont il a le secret.
« Une Journée Bien Remplie
En janvier, son escadrille est désignée pour opérer à Sainte-Menehould et il s’y rend bien vite, non sans avoir salué Verdun, au départ, de quelque vol à renversement, comme il saluera, à l’arrivée ; sa nouvelle résidence. Les détails abondent, dans ses notes, sur cette installation car ce vigilant sait voir et retenir les menus incidents de son existence et en tire aussitôt l’enseignement qu’ils comportent. Ce n’est pas le lieu de s’y arrêter. Recueillons plutôt, sous la plume de Pégoud, le récit d’une prouesse, accomplie le 5 février, et qui valut à son auteur les compliments les plus justement mérités.
« Temps très clair. A 9 h. 35, pars sur Morane, avec Lerendu, et deux heures vol, pour reconnaissance avions boches et protéger nos avions.
A 2000 mètres, survolant région Grand-Pré, arrive un Taube direction sur moi. Le charge à environ 50 mètres en dessous, avec mitrailleuse. Il fait demi-tour ; le poursuis à environ 100 mètres de distance, continuant à le mitrailler. Après une minute de poursuite, Taube, très nettement atteint, fait une longue glissade sur l’aile gauche et tombe en chute, l’avant de l’appareil entouré de fumée, et de feu, et des lambeaux de toile déchiquetés aux ailes, disparaît dans le vide, vers sud Grand-Pré.
Aperçois presque aussitôt deux Aviatiks, l’un survolant la région sud-est de Grand-Pré, l’autre survolant la région nord-est Mont-faucon. Attaque avec mitrailleuse le plus rapproché, celui vers Grand-Pré. Aux premiers coups de feu, Aviatick pique plein moteur ; charge sur lui verticalement avec moteur et mitrailleuse. Vu très nettement Aviatik touché par mitrailleuse.
Après l’avoir vu piquer complètement dans le vide, redresse mon appareil à 1500 mètres, reprends de la hauteur en me mettant à la poursuite du deuxième Aviatik, survolant en ce moment Montfaucon.
L’aborde à environ 40 mètres en dessous, avec mitrailleuse.
Aviatik soutient le combat pendant environ cinquante secondes, ripostant par fusil automatique. Se sentant touché, l’Aviatik pique dans un virage. Le charge en vol plané, verticalement, faisant tirer continuellement mon mitrailleur.
Ai vu très distinctement Aviatik touché par mitrailleur aux ailes et à la queue. Après l’avoir vu disparaître dans le vidé, à 1400 mètres, redresse mon appareil ; suis encadré par obus ennemis petit et gros calibre.
Atterris Sainte-Menehould à 1 h. 45.
En atterrissant, rentrant avion hangar, et pas prévenu, ne vois pas Morane derrière moi, l’accroche avec aile gauche : deux ailes démolies, la sienne et la mienne.
Escadrille M. F. 37 vient d’atterrir et en fais partie, à la date du 6 février 1915.
Fais monter mon Morane de réserve pour remplacer le premier.
Reçois félicitations de tout le centre, du commandant et son état-major. Le général Julien, commandant le génie, vient me voir et me félicite, m’invite à dîner pour ce soir.
Ensuite le commandant des étapes et plusieurs officiers me félicitent et m’invitent à dîner pour après-demain soir.
Fais mon rapport ; reçois félicitations sur toute la ligne.
Me prépare pour aller dîner avec général. Arrive hôtel Saint-Nicolas à 7 heures, où il mange avec, tout son état-major. Environ quarante couverts. Présentation à tous. Dîner très charmant ; pas de cérémonie et d’étiquette, très intime. Reçois félicitations de tous, qui me demandent renseignements. Tout le monde se retire 8 h. 30. Chic et gentil. Rentré et couché. »
C’est là, en style télégraphique d’une sincérité manifeste, l’emploi d’une journée bien remplie par quelqu’un qui a fait tout son devoir, s’en réjouit, mais ne parade pas pour cela. Le motif de la seconde citation de Pégoud à l’ordre du jour de Tannée fait allusion à cette prouesse de l’aviateur. Pégoud la consigne, pour lui-même, dans son carnet intime, où il se montre dans son abandon de triomphateur modeste( Bonnefon)